Beauce, paysages sourds
Texte de Emilie Chaudet. Emission "Les petits matins" de France Culture du 29 mai 2017. " ... C’est une route complètement vide. Il y a eu du passage et puis là, pendant quelques instants, quelques heures, plus rien. Seule la pluie. Le ciel blanc. Ce sont des paysages sourds. On peut entendre jusqu’aux aiguilles d’une montre. Un rythme lent et métallique qui s’incruste dans notre paysage interne. Qui le cadence de brume et de pluie. Personne d’autre que nous à ce moment là ne peut entrer. Les portes sont fermées et les volets clos eux aussi. Comme si personne n’habitait dans ces villages. Comme si les routes n’existaient plus sur les cartes. Des herbes hautes font barrages au milieu de rails où les trains ne passent plus. Comme les vestiges d’un voyage, qui, à un moment, a été possible. C’est une étendue vide et grise, mais qui nous accueille qui nous dit que la vie ici, peut-être douce. Une bulle. Juste un passage. Ce moment, juste après la pluie. L’odeur de la terre mouillée, du goudron mouillé. Cette sensation de silence qui nous envahit. Dépasse les frontières du paysage. Cet état où l’on hésite entre rester encore un peu chez soi, ou sortir enfin. Être le premier à sortir. Etre seul sur cette route humide et calme. Cette sensation qui ne dure pas, que l’on aimerait retenir à ce moment là, d’un extrême confort intérieur qui côtoie dans une même âme, une infinie mélancolie. C’est une frontière, une bordure. D’un état d’âme vers un autre, d’une forêt vers une route, de la route à l’entrée d’un village. On se tient ici, en bordure de quelque chose. Au bord de nous même. Là où les ponts sont bien cachés. Se fondent au reste du paysage. Des "paysages sourds" de Gérard Laurenceau, qui n’entendent rien, nous enveloppe dans ce silence. Les saisons, le temps passent au second plan, puisqu’il est toujours l’heure de la transition, du pas de plus vers le vide, d’un éveil vertical ..."